10 septembre 2011

Faire Zazen c'est voyager dans l'immobilité

Une amie me demandait récemment par mail comment se portait "Toby Jugg". Elle m'avait un jour affublé de ce surnom en référence à une nébuleuse située au coeur de la lointaine galaxie Cobra alors que nous regardions ensemble un ouvrage qui lui était consacré.

La lecture de ces mots - Toby Jug - fit immédiatement jaillir du fond de ma mémoire le souvenir agréable  de ce moment passé ensemble où nos échanges furent riches, sensibles et profonds. Avec le temps j'apprécie mieux ceux des moments de ma vie qui ont été plus intensément émotionnels que d'autres. Je lui répondis que "Toby Jug" allait bien puisque sa résidence initiale - le cosmos - lui semble chaque jour plus confortable, Zazen aidant.

Je pratique en effet Zazen, une forme de méditation japonaise de l'Ecole Sôtô qui consiste à s'asseoir simplement en lotus ou demi lotus, avec d'autres et dans un Dôjô, et à respirer calmement en adoptant de souples et amples mouvements de l'abdomen. A partir de cette position et à l'aide de cette respiration, il s'agit de devenir le spectateur moins que l'acteur de la cacophonie de nos interactions avec les autres et le monde.

Zazen est ainsi ce moment privilégié, circonscris dans le temps et l'espace, où le froid "cosmique" (posture et respiration procurent une sensation d'apaisement et de refroidissement de l'esprit et du corps) devient agréable en ce qu'il fige un instant le flux aléatoire et permanent des émotions, pensées, sentiments, sensations en un concert à peu près intelligible et duquel il devient plus aisé de se détacher pour l'observer. Quel repos que de cesser de s'identifier à tout ce qui peut nous traverser et traverser notre monde en permanence !

Et de là chacun de ces instants de méditation qui adviennent peuvent parfois et par miracle devenir l'accès à une sorte d'éternité : temps et espace, conventions humaines normatives faites pour nous offrir des repères communs, finissent par s'annuler et nous voilà saisi d'une indescriptible sensation d'appartenir à un tout sans origine et sans limite, à un vide total et infini. Ce vide - car il s'agit bien de faire l'expérience d'un vide - à la fois sidéral et sidérant - tel que je l'avais d'ailleurs rationnellement moins qu'émotionnellement perçu il y a quelques années en regardant avec mon amie les photos de la galaxie Cobra - compense ce trop plein permanent qu'offre le monde d'aujourd'hui.

L'émerveillement est dès lors au rendez-vous comme celui d'un enfant face au monde dont il fait l'expérience "ici et maintenant" mais un émerveillement retrouvé dont il faut opérer un détachement - Zazen oblige - pour l'observer vivre en soi et l'apprécier en pleine conscience sachant qu'il peut à tout moment s'évanouir. Mais avant qu'il ne disparaisse et pendant la durée de sa manifestation, Toby Jugg va bien, oui, je peux dire que je vais bien comme si aller bien était désormais associé à un mouvement interne involontaire, une sorte de voyage intérieur bienfaisant dont il devient impossible de déterminer le début comme la fin, un voyage dans l'inconnu au cours duquel la passivité posturale apparente n'est qu'une illusion parmi d'autres.





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