Lorsque quelqu’un
aborde à voix haute dans les transports publics – un train par exemple - un
sujet privé et surtout intime[1] avec un interlocuteur
virtuel situé à l’autre bout du réseau téléphonique, l’impudeur et
l’inconvenance, peut-être même l’incivilité, semblent le plus souvent au rendez-vous.
Chacun a sans doute pu le ressentir. Cette soudaine mise en scène publique de
la sphère privée suscite en effet une forme de voyeurisme contraint,
c’est-à-dire dépourvu de tout plaisir, proprement insupportable – c’est dans
tous les cas ce que je ressens - et nous pousse en certaines occasions non
seulement à se sentir de trop mais à dire « c’en est trop ! », de surcroît
lorsque ces comportements apparaissent aujourd’hui généralisés à l’ensemble de
l’espace public pour constituer, à certains égards, un véritable empoisonnement
notamment pour celui qui souhaiterait profiter de la quiétude d’un compartiment
pour lire ou méditer en regardant défiler le paysage.
Pourquoi est-ce trop,
pourquoi le ressentons-nous comme tel ? Tout se passe, nous le disions, comme
si nous étions impliqué contre notre gré dans une situation et dans des
échanges intimes qui nous donnent le sentiment d’être de trop et par ailleurs
exclu de l’espace où nous nous situons puisque notre « acteur » [2] s’exprime comme si nous n’étions
pas là et, ce faisant, exprime en quelque sorte, sans doute sans intention malveillante
mais à la manière d’un effet induit, le déni de notre présence. Ainsi cette
manière – voire cette manie et cela en est probablement une - de prendre soudainement
la parole dans un train, ou dans tout autre espace public, fonctionne comme une
injonction paradoxale qui court-circuite notre attention à ce qui se passe dans
l’ici et le maintenant du voyage (pour nous et seulement pour nous qui sommes
un voyageur parmi d’autres). On pourrait résumer une telle injonction
par : sois impliqué dans mon intimité sans l’être ! Ce qui est proprement impossible. D’une part
parce que le simple fait de prendre la parole nous oblige à écouter même de
manière flottante (voyeurisme contraint) et le fait de la prendre comme si nous
n’étions pas là nous oblige à faire mine de ne pas écouter soumis que nous
sommes à une injonction normative de discrétion que l’on nomme généralement la
tolérance.
Une bonne manière de sortir d’une telle injonction et par la même de
cette posture désagréable, est
d’évoquer, selon moi, avec toutes les précautions requises, le respect
d’une règle de vie collective en référence au symbole que représente un
téléphone mobile silencieux affiché dans tout compartiment. Ou bien alors d’émettre
l’idée, si nécessaire et en cas d’échec de la première option, qu’il existe,
dans l’entre-deux de ces compartiments, des espaces dédiés à la copulation
téléphonique car il n’est en effet pas très bienséant de copuler devant tout le
monde et de surcroît comme si de rien n’était. Notons qu’aujourd’hui, et
malheureusement, aux premiers effets de surprise et de désagrément
qu’impliquent de tels comportements s’est substituée une forme d’indifférence
généralisée que l’on pourrait, avec un peu d’humour, interpréter comme relevant
d’un désir inavoué de partie téléphonique collective toutefois pas toujours
très fine.
[1] Il faudrait définir ce que c’est
qu’un sujet intime voire ce qui relève de l’intimité mais nous n’en avons pas
le temps ici même.
[2] On
entendra ici ce terme comme celui qui commet une action sur une scène publique
sans que cela constitue pour autant un jeu dramatique conventionnel –
contractuel - puisque nous disposons d’un billet de train moins qu’un billet de
théâtre…
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